La semaine dernière, j’étais bien évidemment à la première des représentations annuelles du Béjart Ballet Lausanne à Beaulieu. Au programme savamment choisi par Julien Favreau, des chorégraphes invités, Riva&Repele et Andonis Foniadakis, et une valeur sûre (peut-être un peu trop 🫣), L’Oiseau de feu de Béjart (que j’ai dû voir quatre fois cette année).
Toujours un peu sur mes gardes quand on nous annonce des nouveaux venus, mais curieuse et impatiente, j’y allais avec hâte et une pointe d’excitation, sans me douter de ce qui allait se passer dans mon petit cœur (si tant est que j’en ai un 😈).
OSKAR.
Je n’avais pas spécialement d’attentes pour cette chorégraphie, contrairement à Real Love sur du Depeche Mode, d’autant plus que je fais partie de cette génération un peu traumatisée par les clowns… On a toutes et tous le souvenir de It de Stephen King. Eh bien, c’est comme on dit… « c’est quand on s’y attend le moins que ça nous tombe dessus ». Exactement comme lors de la découverte d’Hamlet de Valentina Turcu, j’en suis ressortie toute émotionnée. Cette chorégraphie, cette interprétation… en toute objectivité, OSKAR est un chef-d’œuvre. (Oui je sais jamais dans les extrêmes Sabine).
OSKAR, c’est un clown.
Un clown mélancolique, solitaire et pourtant entouré d’une armée de petits Oskars. Vêtu de rouge, le visage entièrement blanchi, le regard cerclé de noir, impossible de ne pas penser automatiquement au Joker. Tantôt Joaquin Phoenix, tantôt feu Heath Ledger, les associations sont automatiques.
Et puis il y a ce geste. Simple, presque brutal dans son évidence. Un doigt de chaque côté de la bouche pour mimer et forcer un sourire. Comme si le corps rappelait au visage ce qu’il est censé montrer au public.

Sous un réverbère auquel il s’accroche, dans un espace suspendu entre réalité et illusion, OSKAR oscille entre jeu et solitude. Il amuse, puis se retire. Il tombe, se relève, doute. Autour de lui apparaissent d’autres figures, des clones/clowns, comme des fragments de lui-même, des pensées en mouvement. À certains moments, cette présence démultipliée donne l’impression d’une armée silencieuse de jokers intérieurs, jamais tout à fait menaçants, jamais vraiment rassurants.
La chorégraphie de Riva & Repele, portée à merveille par la troupe du BBL, trouve ici une finesse qui m’a particulièrement touchée. Même si je n’ai fait le lien que le lendemain, je les avais déjà découverts lors du Gala Dansons la Vie et avec I’m on your side, en me disant sans encore le savoir: ces deux danseurs font désormais partie de mon top 3.


OSKAR est le portrait d’une âme en quête de sens, d’un artiste face à ses doutes. Devant lui, un mur. Impossible de ne pas y voir le symbole des peurs intérieures, des limites que l’on se pose soi-même. Faut-il les affronter pour aller vers l’inconnu, ou rester dans un présent rassurant mais étouffant ? Cette question traverse tout le ballet sans jamais s’imposer.
Avec mon Oscar préféré dans le rôle principal, Oscar Eduardo Chacon, ce dernier est d’une justesse rare. Jamais dans l’excès, comme habité, son clown est fragile, parfois drôle et toujours poétique. La musique de Chostakovitch et Brahms accompagne ce parcours intérieur avec intensité.
Et puis vient le dernier acte.
Une marionnette géante, un clown, une sorte de Pierrot.
Pagliacci de Ruggero Leoncavallo (oui j’ai dû shazamer). Et là, sans prévenir, tout cède. Sur scène… et en moi. J’étais pas prête, vlan en bas les larmes.
Autant dire que l’entracte n’a pas suffi pour que je m’en remette. Les ballets qui ont suivi, Real Love d’Andonis Foniadakis et L’Oiseau de feu, n’ont pas réussi à me sortir de cet état. Non pas par manque de qualité, bien au contraire. Mais j’étais encore happée par OSKAR, ce Joker dansé, ce sourire forcé, cette dernière image qui a laissé une trace indélébile dans mon coeur et ma pauvre âme.